MONOGRAPHIE DE VIGNACOURT

par l'abbé Ed. Jumel, curé de Bourdon

Amiens - 1868

 
V. Etablissement de la commune à Vignacourt.-- Administration.

Vignacourt ne resta pas étranger au grand mouvement populaire qui se manifesta en France dans les XIIe et XIIIe siècles, et qui porta la plupart des communes à s'affranchir du régime de la féodalité.
A l'exemple de Picquigny, Corbie, Flixecourt, Molliens-Vidame, Abbeville et Amiens, les habitants de Vignacourt sollicitèrent et obtinrent, de leur seigneur une charte de commune et l'établissement d'un échevinage. Tout porte à croire que cette charte fut octroyée à la commune vers l'an 1209 par Rénault d'Amiens, qui était en même temps seigneur de Vignacourt, Flixecourt et l'Etoile. On trouve en effet un échevinage fonctionnant dans la première moitié du XVIIIe siècle.
Ainsi, Dom Grenier nous a conservé une sentence de l'officialité d'Amiens rendue contre les mayeurs et eschevins de la ville de Vignacourt, datée du mois de février 1234.
D'après cet acte que nous donnons ici, les échevins et mayeurs de Vignacourt exigeaient des redevances sur les tenanciers de l'abbaye royale de Berteaucourt pour les terres qu'ils tenaient de cette maison. Les religieuses de Berteaucourt portèrent plainte devant l'official d'Amiens, qui, par sa sentence, les déclara exemptes des tailles indues qu'on prétendaient faire payer aux tenanciers. Voici la sentence :
"Magister Ricardus de sancta Fide dictus, Ambianensis Canonicus et Officialis, omnibus praesentes litteras inspecturis, in Domino salutem. Noverit universitas vestra quod, cum Ecclesia de Berthodicurte traxisset in causam coram nobis scabinos de Vinacort, super hoc quod ipsi petebant, ut dicebatur, tallias et exactiones indebitas a tenentibus ejusdem Ecclesia ut nos dictos scabinos compelleremur ad eum quod tenentes sui ab hujusmodi talliis et exactionibus immunes remanerent ; lite super hoc solemniter contestata... etc." (Biblioth. Imp. D. Grenier, XIVe paq. n°5. fol. 51.)
Ce débat entre les religieuses de Berteaucourt et les échevins de Vignacourt traîna en longueur plus d'une année ; ceux-ci reconnurent enfin leur tort, abandonnèrent leurs prétentions et signèrent la transaction suivante passée devant l'official d'Amiens, chargée de la rédiger.
"Maître Ricard de Sancte-Foy, chanoine, official d'Amiens, à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut. Sachez que l'abbesse et le couvent de Berteaucourt ayant mis en cause devant nous, les eschevins de Vignacourt, en disant contre eux qu'injustement ils exigeaient tailles de certaines terres que quelques particuliers demeurant à Vignacourt tenaient des dites abbesses et couvent. Enfin, après plusieurs débats, l'abbesse et couvent d'une part et les dits eschevins de l'autre sont convenus devant nous en cette sorte : que les dits eschevins, lorsqu'ils lèveront les dites tailles de ces particuliers qui occupent les dites terres ou parties d'icelles, ne feront aucune mention des terres devant dites ; et il est assavoir que, si les dites terres  ou parties d'icelles sont venues au domaine des dites abbesses et couvent, Jean d'Amiens, seigneur de Vinacourt, ny les dits eschevins, ne pourront à l'avenir demander aucunes tailles pour raison des dites terres ; mais s'il arrivait que ceux qui occupent ces terres habitassent hors le village de Vinacourt et la seigneurie du dit Jean d'Amiens, le dit Jean, ni les eschevins ne pourraient prétendre aucunes tailles des détenteurs d'icelles terres ; et Jean d'Autan, échevin de Vignacourt et les autres eschevins pour le temps présent, ont juré devant Nous, dans le même village, que dorénavant, ils garderaient inviolablement cet accord.
En témoignage de laquelle Nous avons délivré ces présentes lettres qui ont été faites avec le scel de l'officialité d'Amiens, aux dites abbesse et couvent. Fait à Amiens, l'an du Seigneur 1235, au mois de novembre."(Bibl. Imp. D. Grenier. XIVe  paq. art. 5. pag. 105. -- Aug. Thierry. Docum. Inéd. II.)
Cette transaction, comme on le voit, nous révèle deux choses importantes : l'existence d'un échevinage établi à Vignacourt et d'une officialité fonctionnant à Amiens dans la première moitié du XIIIe siècle. Les évêques, en effet, investis de toute juridiction sur les clercs, sur les communautés religieuses et sur toutes les matières ecclésiastiques, déléguaient à cette époque une partie de leurs pouvoirs à un fonctionnaire ecclésiastique qui portait le nom d'Official (officialis), et qui avait près de lui un commissaire général, appelé Promoteur, chargé de signaler et de poursuivre les méfaits. Plusieurs assesseurs appelés dans les causes graves et un greffier complétaient le tribunal de l'officialité.
Cependant malgré l'affranchissement de la commune et l'établissement de l'échevinage, le seigneur du lieu conservait ses droits seigneuriaux et exerçait la justice par un prévôt de châtellenie, chargé de le représenter auprès de la commune.
Ainsi, nous voyons en février 1229, Pierre, prévôt de la châtellenie de Vinacourt, engager à l'église d'Amiens la 3e portion de dîme qu'il possédait au terroir de Wannast ; ce que confirmèrent Euphémie sa femme, et Béatrix de Béthencourt, de qui relevait la dîme. (Pouillé de l'arch. fol. 374. Cartulaire du Chapitre d'Amiens, II. fol.198.)
En 1270, Dreux d'Amiens, seigneur de Vinacourt dispose par testament en faveur d'Agnès, sa fille, à qui la terre de Labroye en Ponthieu appartenait et de Jean de Varennes, son gendre, de toute la justice qu'il avait sur les mayeurs et échevins et la communauté de Vinacourt. (Inventaire des Titres de la Bar. de Piq. Ms. des arch. Départ.)
Cependant, toutes les transactions importantes se faisaient d'un commun accord entre l'échevinage et les seigneurs. Nous en trouvons la preuve dans une charte de Jean d'Amiens, seigneur de Vinacourt, du mois de décembre 1240, octroyée à la corporation des marchands de l'eau de la Somme, au sujet du pont de l'Etoile.
En effet, par suite d'une transaction passée entre l'échevinage et Aléaume d'Amiens en 1218, la commune avait dû élever et élargir le pont de l'Etoile, mais les réparations et l'entretien étaient restés à la charge d'Aléaume, seigneur de Vinacourt et l'Etoile. Un second traité, relatif à ce même pont, avait été passé, quelques années après, entre la commune et Thibault d'Amiens.
Enfin en 1240, le neveu d'Aléaume, Jean d'Amiens, s'était engagé par un acte formel à exécuter les conventions souscrites par Thibault. Mais, soit que les conditions stipulées dans ces différents actes eussent été éludées, soit qu'une plus grande activité dans les relations commerciales eut exigé quelques changements dans la structure du pont, Jean d'Amiens, seigneur de Vinacourt, faisant droit aux plaintes réitérées de la corporation des marchands de l'eau, lui octroya la charte suivante :
"Ego, Johannes de Ambianis, miles, Dominus de Vinacourt omnibus praesentibus pariter  et futuris  praesentes litteras inspecturis, notum facio quod, cum controversia mota esset et diû verteretur, inter Me ex unâ parte, et Mercatores aquae ex alterâ, de Ponte de Stellâ, per quem naves transeunt, videlicet de altitudine, longitudine et de statu ejusdem pontis ; tandem de bonorum et prudentium virorum Concilio, super ea composuimus in hunc modum : Quod Ego teneor ad custus et sumptus meos et heredum meorum,dictum pontem de Stellà, in tali statu altitudinis, longitudinis et tocius rei ad utilitatem dictorum mercatorum pertinentis tenere. Ego et Heredes mei in perpetnùm, fide interpositâ et per abbandonum omnium rerum mearum ; ità quod omnes naves per aquam Summae transeuntes possint ire et redire vacuè et plenè in perpetuùm per dictum pontem de Stellà, sine aliquo obstaculo, periculo et impedimento, salvo et securè ; ita quod, si dicti mercatores, occasione dicti ponti, per defectum meum vel Heredum meorum, custus aliquos apposuerint sive dampna aliqua incurrerint, Ego custus omnes et dampna omnia dictorum mercatorum teneor eisdem mercatoribus, fide interpositâ et per abbandonum omnium rerum mearum, per solum dictum Majoris et Scabinorum sinè ampliùs et contrariô dicere vel facere, plenariè restaurare. Et ad haec omnia proenotata firmiter et fideliter in perpetuùm observanda Me et Meos obligavi heredes. Et ut haec omnia sopradicta firma, stabilia et rata perpetuis permaneant temporibus, praesentes litteras, sigilli  mei munimine roboratas, praedictis mercatoribus tradidi in testimonium veritatis et munimen.
Actum anno Domini millesimo ducentesimo quadragesimo mense decembri."
(Arch. de l'Hôtel-de-Ville d'Am. Registre aux chartes, côté E. fol.17 Re. --Bibl. Imp. Collect. de D. Grenier  XVe paq. n°2. p.190.)
Dans cette charte, comme on peut le constater, Jean d'Amiens, seigneur de Vinacourt promet pour lui et ses héritiers d'entretenir le pont de l'Etoile de manière à donner un libre passage aux bateaux chargés ou non chargés. Il promet en outre d'indemniser les marchands de l'eau des dommages que l'état du pont leur causerait à l'avenir. Cette indemnité leur sera payée à la simple réquisition du mayeur et des eschevins, sans qu'il soit besoin d'une action en justice .
Nous ajouterons, d'après Augustin Thierry, que ce nom de marchands de l'eau appliqué au corps des bateliers de la Somme, se trouve également à Paris et dans d'autres villes situées de même sur quelque fleuve. Il est probable que cette association faisait le négoce en même temps que le roulage par eau.
Des documents postérieurs prouvent qu'elle ne se composait pas seulement de bateliers amiénois, mais de tous ceux des villes de la Somme, depuis Corbie jusqu'à la mer.
Anciennement la commune de Vignacourt était administrée par un prévost de châtellenie, le représentant du seigneur, dont la gestion était subordonnée au Conseil des eschevins. A l'époque de la grande Révolution, toutes les institutions féodales ayant été abolies, l'administration fut confiée exclusivement à un agent communal ou maire, nommé par le gouvernement. Depuis, on compte à Vignacourt douze administrateurs, dont voici les noms :
  1e Nicolas Froidure      de 1793 à 1797.
  2e Louis Duhamel            1797 à 1803.
  3e Antoine Thuillier           1803 à 1811.
  4e Jean-Baptiste Binet      1811 à 1815.
  5e Théodore Wargnier       1815 à 1816.
  6e Augustin Calippe          1816 à 1820.
  7e Pierre Lefebvre             1820 à 1848.
  8e Godard Cornet             1848 à 1853.
  9e Frédéric Duboille          1853 à 1854.
10e Théophile Pécourt         1854 à 1855.
11e Alexis Dubois               1855 à 1870.
12e Charles Copin     depuis 1870.
La maison qui servait autrefois à l'échevinage était peu en rapport avec l'importance de la commune à cause de son exiguïté, c'est ce qui décida l'administration municipale, en 1846, à voter la construction de l'Hôtel-de-Ville actuellement existant. Le plan en fut dressé par M. Dumoulin, architecte à Doullens, et le devis montant à la somme de 22.388fr. 54 c. , fut approuvé par le Préfet de la Somme, le 7 février 1847.

 

introduction
I. origine, situation, division territoriale, foires et marchés, etc.
II. Vignacourt sous les Normands et les Croisades. (879-1096-1250.)
III Vignacourt pendant les sièges de Picquigny, Amiens et Corbie. (1470-1597-1636.)
IV Vignacourt sous les chevaliers de Malte. (1601-1697.)
VI. Maladrerie - Ecoles communales.
VII. Paroisse et Doyenné de Vignacourt.
VIII. Chapitre de Saint-Firmin de Vignacourt.
IX. L'église de Vignacourt.
X. Seigneurie de Vignacourt.

 

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