MONOGRAPHIE DE VIGNACOURT

par l'abbé Ed. Jumel, curé de Bourdon

Amiens - 1868

 
III Vignacourt pendant les sièges de Picquigny, Amiens et Corbie. (1470-1597-1636.)

Une des époques les plus désastreuses pour la France et en particulier pour la province de Picardie, fut celle de la Ligue du Bien Public, organisée par la féodalité contre la royauté(1465-1472.) Sous prétexte de réclamer le soulagement des peuples, les princes de France, ayant à leur tête le comte de Charolais, mieux connu sous le nom de Charles le Téméraire et qui devint ensuite duc de Bourgogne , voulaient se venger du roi Louis XI, qui, à son avènement au trône, les avait dépouillés d'une partie de leurs privilèges et avait acheté à Philippe-le-Bon, le Ponthieu, ainsi que les autres villes de la Somme pour le prix de 400000 écus d'or.
Ce fut là comme le signal de la lutte ; car le comte de Charolais, unique héritier de Philippe-le-Bon, son père, mécontent de ce marché, souleva les principaux seigneurs de France, les princes de Bretagne, de Bourbon, de Calabre, de Nemours et déclara la guerre au roi. Presque toutes les villes et les villages du Vimeu et du Ponthieu eurent à souffrir des armées belligérantes, qui usaient des plus terribles représailles et mettaient tout à feu et à sang. Nous pourrions citer Picquigny, Abbeville, Airaines, Oisemont, Saint-Riquier, Domvast comme ayant été éprouvés pendant la guerre.
Le duc de Bourgogne, qui s'était emparé par surprise du château de Picquigny, en entretenant des intelligences secrètes avec la vidamesse, sa parente, se trouvait au camp de Wailly, proche d'Arras, quand il apprit que Picquigny était repris par les troupes du roi. Aussitôt, il quitte Wailly, se met en marche le 13 février 1470, et vient camper à Vignacourt le 23 février de la même année.
A peine était-il installé à Vignacourt, qu'il reçut un exprès de duc de Bretagne lui mandant de prendre garde à lui, car il n'avait jamais couru de plus grand danger. Il ajoute ensuite que le roi lui a confié les nombreuses intelligences qu'il a dans ses états, surtout à Bruges et à Bruxelles, et que ces deux places sont prêtes à se soulever. Enfin, il assure que le roi le poursuivra avec des forces supérieures en quelque lieu qu'il se retire et l'assiégera quand même il choisirait son asile à Gand.
Le duc de Bourgogne, contrarié de ces nouvelles, congédie l'envoyé du duc de Bretagne assez sèchement ; puis dans la nuit quitte Vignacourt et vient camper avec son armée, le 24 février, à Belloy-sur-Somme, avec le dessein bien arrêté de reprendre Picquigny. L'avant-garde de son armée, appuyée par 4 ou 5 pièces de canon, se présente donc devant cette ville qui n'avait alors pour sa défense qu'une garnison de 500 francs-archers et quelques gentils hommes ; mais point d'artillerie. La lutte devenait par trop inégale, c'est pourquoi les troupes jugèrent prudent d'abandonner la ville et de se retirer dans la forteresse.
Les Bourguignons une fois maître de la ville y mettent le feu et font ensuite le siège du château, qui se rendit après deux ou trois jours de résistance. Charles-le-Téméraire resta encore à Picquigny jusqu'au 4 mars et vint ensuite camper à Cléry.(Inventaire des chartes du roi Louis XI, par Louvet, ms. côté 6715, fol. 266.-- Hist. des comtes de Ponthieu.-- Mémoires de Commine, Liv.III, cap. 3. Dusevel, II. 124.)
Pendant ce siège de Picquigny, Vignacourt eut beaucoup à souffrir des dégâts commis par les armées Bourguignonnes ; mais de plus grands malheurs devaient fondre sur ce pays, lors du siège d'Amiens par les troupes Espagnoles, en 1597. En effet, Henri IV qui, pour défendre Abbeville avait mis une forte garnison dans la place, avait également offert des troupes aux habitants d'Amiens pour les aider à repousser les attaques des Espagnols. Mais ceux-ci trop confiants dans leurs forces et s'appuyant d'ailleurs sur leurs anciens privilèges, refusèrent les troupes du roi, promettant de se défendre par eux-mêmes. On connaît le triste dénouement de cette campagne. Les amiénois négligèrent tellement les plus simples précautions, que les Espagnols s'emparèrent de la ville par surprise. Henri IV, justement exaspéré de la perte d'Amiens, quitte Paris et vient avec une armée imposante camper à Vignacourt, dans le dessein de reprendre la ville aux Espagnols.
C'est pendant son séjour à Vignacourt qu'il écrivit aux Abbevillois une lettre dans laquelle il ne dissimule pas son mécontentement contre les habitants d'Amiens. Nous reproduisons cette lettre avec d'autant plus de plaisir qu'elle a échappé à la plupart de nos historiens.
"Chers et bien aimés, puisque les habitants de notre ville d'Amiens se sont si lâchement laissés surprendre et se sont perdus avec tant d'imprudence et d'opiniâtreté au refus qu'ils ont fait de recevoir seulement en leurs faubourgs les garnisons des Suisses, dont nous les avions fait souvent solliciter, il faut à notre très grand regret qu'ils en portent la peine. Et parce que les Espagnols, qui se sont emparés de la dite ville, entre autres barbaries qu'ils y ont exercées, ont contraint les dits habitants de racheter leurs vies et leurs personnes et celles de leurs femmes et de leurs enfants, avec les meubles qu'ils leur ont voulu laisser, après avoir pillé ce qu'ils avaient de plus précieux ; et que pour recouvrer l'argent du dit rachat, les dits habitants d'Amiens pourraient avoir recours à nos villes voisines, même à la vôtre ; nous vous défendons très-expressément de les secourir d'aucuns deniers, tant parce que cela épuiserait d'argent votre ville et augmenterait d'autant nos ennemis, que parce qu'il nous importe de leur ôter, en ce qu'il nous sera possible, le moyen de recouvrer argent pour nous faire la guerre et à nos sujets.
"Donné à Vignacourt, le 25e jour de mars 1597.
"Signé : Henri. "
(Extrait du registre aux délibérations d'Abbeville, année 1596-97.-- Hist. des comtes de Ponthieu. II. 90.)
Les Abbevillois, jaloux de témoigner au roi leur attachement , lui répondirent immédiatement par l'envoi à Vignacourt, d'une somme de 1200 livres pour l'aider à reprendre Amiens. Ils ne se bornèrent pas seulement à cet acte de patriotisme, mais payèrent aussi de leurs personnes en rejetant plusieurs fois sur Doullens et Hesdin les troupes qui sortaient de ces villes pour rançonner le Ponthieu.
 Pendant le siège d'Amiens, les troupes anglaises au service de Henri IV tinrent aussi garnison dans les villages situés le long de la Somme ; mais ces alliés n'étaient pas moins à craindre que l'ennemi lui-même ; car ils brûlèrent ou démolirent une partie des maisons de Longpré-lès-Corps-Saints et y commirent tant d'excès que le peuple en fut exaspéré.
Quant à Henri IV, après avoir séjourné quelque temps à Vignacourt, il vint à Picquigny où il habita jusqu'au 5 avril 1597, et de là se rendit sous les murs d'Amiens qu'il reprit aux Espagnols.
Les Espagnols, à leur tour, sur les ordres du cardinal Albert se portèrent sur Vignacourt, et se vengèrent de la perte d'Amiens en livrant le pays au pillage et aux flammes.
Le bourg sortait à peine de ces désastres, quand un nouveau malheur vint le ruiner de fond en comble. C'était en 1636, pendant le siège de Corbie par les Espagnols, un détachement, composé d'Allemands, de Hongrois, de Polonais et de Croates, au nombre d'environ 30000, sous la conduite de Jean de Werth, quitta Corbie et envahit le Ponthieu, qu'il trouva sans défense et peu s'en fallut qu'il ne surprit sa capitale. Ces troupes exercèrent partout les plus grands ravages, pillèrent les villages, ruinèrent les monastères, brûlèrent les églises. Les habitants effrayés abandonnaient leurs demeures pour se cacher dans les bois ou dans les carrières. Souvent leurs retraites étaient découvertes par les ennemis qui les faisaient périr par les flammes. Le 22 septembre, ils attaquèrent Flesselles et après avoir été repoussés par les habitants qui se battirent comme des lions, ils se rejetèrent sur Vignacourt, où ils mirent le feu en plusieurs endroits.
Quelques jours après un nouveau détachement de Suédois parti de Corbie, vint encore à Vignacourt et acheva de ruiner les maisons qui avaient échappées au dernier incendie. Les villages environnants ne furent pas mieux traités ; à Berteaucourt et à Saint-Vast les curés furent dépouillés de leurs ornements sacrés par les soldats et subirent les plus grands outrages ; à Saint-Sauveur, le curé vit piller son église ; à Moreaucourt, les religieuses, pour échapper à la fureur des Espagnols, durent abandonner leur couvent. C'est alors qu'elles se réfugièrent à Amiens, et fondèrent une nouvelle maison dans la rue des Rabuissons, sur l'emplacement occupé actuellement par la Bibliothèque communale et le Musée. (August. Thierry. documents inéd. --Pagès. Manuscrits II. D. Grenier. Dict. topog. -- Hist. des comtes de Ponthieu.)
 

introduction
I. origine, situation, division territoriale, foires et marchés, etc.
II. Vignacourt sous les Normands et les Croisades. (879-1096-1250.)
IV Vignacourt sous les chevaliers de Malte. (1601-1697.)
V. Etablissement de la commune à Vignacourt.-- Administration.
VI. Maladrerie - Ecoles communales.
VII. Paroisse et Doyenné de Vignacourt.
VIII. Chapitre de Saint-Firmin de Vignacourt.
IX. L'église de Vignacourt.
X. Seigneurie de Vignacourt.

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