MONOGRAPHIE DE VIGNACOURT

par l'abbé Ed. Jumel, curé de Bourdon

Amiens - 1868

I. origine, situation, division territoriale, foires et marchés, etc.

Les savants sont partagés d'opinion sur l'origine et la signification du mot Vignacourt. Les uns, attribuent la fondation du pays ou son occupation, à un général romain, appelé Vinard, qui aurait donné son nom à cette localité, désignée dans les titres primitifs par ces mots Vinardicuria, Vinardicurt.
Les autres tirent la signification du pays des mots latins Vinicuria, Vinicurtis, Vinearum Curtis ou Pays des Vignes. Nous inclinons fortement pour cette dernière hypothèse, parce que autrefois toute la vaste étendue de terrain située entre la commune de Saint-Ouen et la forêt de Vignacourt était couverte de vignes ; elle comprenait trois cantons qui ont conservé les dénominations suivantes : au-dessus des vignes, aus vignes, sous les vignes, ce qui prouve évidemment que la vigne était cultivée primitivement sur une vaste échelle à Vignacourt.
On doit se rappeler, du reste, que Picquigny, le Gard et plusieurs localités du canton, possédaient également des vignobles. Sans doute, le vin qu'ils produisaient ne valait pas les excellents crûs de Bordeaux, mais il n'en faisait pas moins l'objet d'un commerce important avec Amiens et Abbeville, et était pour la localité une ressource importante. Les titres anciens attestent également que les Chartreux d'Abbeville cultivaient des vignes sur le coteau qui dominait leur couvent et que Menchecourt était peuplé de vignerons.
Quoiqu'il en soit, les chartes des XIe, XIIe et XIIIe siècles offrent une grande variation dans l'orthographe du nom de ce pays. On trouve, en effet :
Vinacurt, 1090. Cart. de saint Corneille. -- 1150, Cart. de saint Laurent. -- 1274, Drogo de Vignacourt.
Vinarcurt, 11OO, Aug. Thierry, D. Grenier. -- 1180, Thibaut, Ev. d'Am., Cart. saint Laurent.
Vinardicuria,1100. Donation de Rénault d'Amiens, seign. de Vign.
Vinacort,1140. Guarin, Ev. d'Am. Cart de Berteaucourt. -- 1161-1185, Phillippe d'Alsace.
Vinardicurt, 1150. Aléaum. de Flix., V. de Beauvillé. -- 1095, Cart. de Bert.
Vinearum Curtis. 1300. Charte de donation. Titres du chap.
Vinacuria,1204 Richard, Ev. d'Am., Cart. saint Jean.
Winacourt,1215. Guillaume, Com. de Nort. --1492. Jean Lachapelle.
Vinarcourt,1240. Jean de Vign. D. Cotron. -- 1248, Jean d'Am. -- 1292, Cout. Loc.
Vignacourt,1273. Dreux d'Am. D. Cotron, D. Rumet, XVIe série. Port. I. p. 303.
Vignancourt, 1235. Off. d'Am. Aug. Thierry, Doc. inéd.
Wignacourt,1337 Rôle de nobles et fieffés. Nob. de Pic. (D. Grenier J. Garnier.)
Ce bourg, autrefois de l'intendance et du baillage d'Amiens, de l'élection de Doullens, actuellement de l'arrondissement d'Amiens et du canton de Picquigny, est établi sur le vaste plateau qui domine la vallée de Somme ; il est limité sur la droite par la chaussée romaine, dont les vestiges subsistent encore entre Amiens et Boulogne-sur Mer.
Presque toutes les maisons, établies sur deux rues principales d'une longueur de plusieurs kilomètres, sont construites sur le devant, ce qui produit un bel effet. Les habitants, industrieux et laborieux, exploitent indistinctement toutes les branches de commerce, et quittent souvent leur pays par caravanes de quinze à vingt personnes, pendant une partie de l'année. Autrefois la vente du tabac de contrebande était une des principales occupations des habitants qui avaient pour cela acquis la réputation de contrebandiers, qu'ils ne méritent plus maintenant.
La population qui, au XVIIe siècle était de 2,160 habitants, s'est élevée, en 1836, jusqu'au chiffre de 3,800 ; actuellement, elle est de 3,612.
On assigne à Vignacourt une superficie de 2,850 hectares, 79 ares, 54 centiares, qui produisent un revenu matriciel de 77,746 fr. 47. Le territoire touche par le Nord aux communes de Saint-Ouen, Berteaucourt et Halloy-lès-Pernois ; par le Midi, à celles de Lachaussée, Saint-Vast et Vaux ; par le Levant à celles de Flesselles et par le Couchant à celles de Béthencourt et Belloy-sur-Somme. Il est composé en partie de couches argileuses et gréseuses, qui sont exploitées avec avantage les unes pour le pavage et les autres pour la fabrication des briques, pannes et tuiles. Cette fabrication, qui fait l'objet d'un commerce important pour le pays, date de longtemps, ainsi qu'on peut le constater par le fait suivant consigné dans les manuscrits de Pagès. C'était en 1705 ; un ouragan terrible s'était abattu sur la Cathédrale de la ville d'Amiens. Toutes les toitures des maisons, alors couvertes en tuiles, avaient été enlevées ; aussi le prix des tuiles était-il monté si haut que MM. de la police en fixèrent, par une ordonnance publique, la vente au prix de 12 livres le mille, au lieu de 5 livres qu'elles se vendaient auparavant. Mais on avait compté sans les habitants de Vignacourt, qui avaient coutume de fabriquer les tuiles et de les apporter pour vendre à Amiens. Peu contents du prix imposé par cette taxe, ils cessèrent de venir à la ville, et ne conduisirent leurs charrettes chargées de tuiles qu'à ceux qui les demandaient au prix de 18 livres le mille.
A la fin du XVIe siècle, au témoignage de D. Rumet (Hist. de Picardie ms. fol. 293.) on voyait encore une vaste forêt qui comprenait, tant en haute que basse futaie, 900 journaux. Cette forêt était très renommée et formait pour la contrée un magnifique horizon de verdure, d'où l'on apercevait, aux crépuscules d'été, le soleil, comme un globe d'or entouré de pourpre projetant ses rayons et descendre à travers les masses de feuillage. Elle était aussi comme un vaste laboratoire, où les orages condensaient leurs grêles, leurs tempêtes, leurs foudres et leurs éclairs rapides qui illuminaient comme d'une lumière électrique toute la forêt resplendissante d'une admirable clarté. Mais ce sublime spectacle n'est plus visible, car l'horizon est dénudé d'arbres.
Auprès de cette forêt, il existait autrefois une maison et une cense dont la contenance était de 330 journaux, tant en terres labourables qu'en pourpris. Les lettres confirmatives des possessions de l'abbaye du Gard, de l'année 1178, constatent que Alburge, fille de Mathilde de Lachaussée (de Calceiâ ), avait donné cette propriété aux religieux de Gard et qu'elle leur rapportait en argent 162 livres. (Titres du Gard ).
Le plan dressé en 1836 partage le territoire en six sections, divisées elles-mêmes en une foule de cantons que nous allons reproduire parce qu'ils font connaître les lieux-dits :
1re section : Le Bois-Thibaut, les Torniolles, le Bois-de-Saintelette, la Grande-Borne, la Cavée, le Moulin-Brûlé, le Marché, le Vide-Grange, le Bois-Louis, le Chemin-de-Laby, la Metz, le Buquet-l'Abesse, le Cavrois, les Viviers, la Terrière, la Vallée-Robert, le Chemin-de-Labarre, le Chemin-de-Babou, la Fosse-Roucoulet.
2e section : Le Terroir-de-Metz, le Moulin-de-Beu, le Fond-de-Rénoval, la Sole-de-l'Epinette, le Corpron, la Barrière, la Ferme, les Haies-à-Moineaux, le Riot-Michel, les Petits-Marchés, la Cavée-du-Bois-de-la-Chaine, la Culotte, la Couillaré.
3e section : Le Fossé-Gouy, les Huys, les Biffes, la Justice, l'Epinette, le Bois-Ducroquet, le Mouët, le Rideau-Plouse, le Chemin-de-l'Etrier, l'Etrier, le Bois-de-la-Maronne, le Fond-de-la-Campagne, la Vallée-Grand-Homme, le Four-à-Chaux.
4e section : La Carrière, la Colombière, la Vallée-Brecque, les Rousses, la Hayette, le Larry, la Potente, la Vallée-Vidame, le Cocriomont, la Vallée-Saint-Nicolas, la Vallée-Langlet, la Vallée-Berneux, le Ruz-Mourant.
5e section : La Haute-Cornée, le Pré-Louis, les Terres-de-la-Forêt, les Cliquaines, les Englées, les Haies-Robinette, le Collège, le Franc-Lieu, le Bois-du-Parc, le Bois-Jean-Lecot, la Forêt, les Têtes.
6e section : L'Allemont, le Dessus-des-Vignes, les Vignes, sous les Vignes, le Bois-Viel.
L'établissement des foires et marchés à Vignacourt remonte au XIVe siècle, ainsi que l'attestent les nombreux actes émanés des rois de France. Ce fut le roi Jean-le-Bon qui en accorda la première autorisation en 1360, à la requête de Jean de Varennes, seigneur de Vignacourt. Quelques années plus tard, un édit de Charles VI, confirma de nouveau l'établissement d'un marché-franc le lundi de chaque semaine ; mais ayant été interrompu par les guerres des Espagnols, Charles d'Ailly, baron de Picquigny et seigneur de Vignacourt, obtint, en 1560, une lettre de François II, pour son rétablissement. (D. Grenier, XIVe paq. n°5.--Aug. Thierry, Docum. inéd.)
Au mois de mars 1648 de nouvelles lettres patentes données à Paris, portent l'établissement de quatre foires par an à Vignacourt, le jour de saint Remi, de saint Eloi, de la mi-Carême et de la Saint-Barnabé, et d'un marché franc le jeudi de chaque semaine, à la requête de Louis d'Ailly, Vidame d'Amiens, et seigneur de Vignacourt. (Reg. XXX des chartes du Baillage d'Am. de 1643 à 1649. D.Grenier, Dict. topog.)
Les foires et marchés furent de nouveau supprimés au moment de la Révolution, jusqu'en 1832. A cette époque, le commerce prenant un grand développement à Vignacourt, les habitants sollicitèrent et obtinrent le rétablissement d'un marché ordinaire, le lundi de chaque semaine, d'un marché-franc le premier lundi de chaque mois et d'une foire par an, le jour de la Saint-Firmin.(Arch. de la comm.)
Parmi les hommes célèbres, qui ont illustré Vignacourt, nous mentionnerons Maximilien de Vignacourt, Patrice d'Arras, à qui Valère-André donne encore le titre de Palatinus Regius. Il mourut à Louvain le 21 novembre 1620 et fut inhumé dans l'église de Saint-Pierre. Il s'est fait connaître par ses poésies, dont beaucoup sont imprimées mais non recueillies. Il fit aussi plusieurs pièces sur la mort de son ami Juste Lipse, imprimées à Louvain, en 1606, in-4°. On a de plus du même auteur un ouvrage in-4°, sur la Belgique, imprimé à Anvers en 1598, et un autre intitulé De causis, Calamitatibus et Remediis tumultuum Belgicorum,imprimé à Arras en 1593, in-8°. Le dernier ouvrage a été traduit en français, ainsi qu'on peut le constater dans la bibliothèque belge de Valère-André. Edit. de 1789, t. II. pag. 884. (Moréri. Dict. hist.)
Nous citerons encore Louis Daniel de Vignacourt qui mourut glorieusement en 1759 à la bataille de Minden, en Wesphalie, et Pierre de Vignacourt qui s'illustra par de hauts faits d'armes. Ce dernier vivait au XVe siècle et était capitaine des gardes à Montdidier. Une magnifique verrière, représentant la Transfiguration, qu'il donna à l'église de cette ville, perpétua longtemps son souvenir, et fut comme un témoignage vivant de sa piété généreuse. (Lettres sur le dép. de la Somme. Dusevel.)
Enfin, D. Grenier, dans ses notes manuscrites sur la Picardie, parle avec éloge de Louis de Vignacourt qui s'est fait un nom dans les lettres, au XVIIIe siècle. On a de lui une histoire de Lidéric, comte de Flandre, in-12°, 1737. (D. Grenier. Dict. Topog. Lettre V.)
 
 

introduction
II. Vignacourt sous les Normands et les Croisades. (879-1096-1250.)
III Vignacourt pendant les sièges de Picquigny, Amiens et Corbie. (1470-1597-1636.)
IV Vignacourt sous les chevaliers de Malte. (1601-1697.)
V. Etablissement de la commune à Vignacourt.-- Administration.
VI. Maladrerie - Ecoles communales.
VII. Paroisse et Doyenné de Vignacourt.
VIII. Chapitre de Saint-Firmin de Vignacourt.
IX. L'église de Vignacourt.
X. Seigneurie de Vignacourt.

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