La vieille Eglise de Vignacourt, qui vient de disparaître et qui
paraissait remonter au XIIIe ou XIVe siècle, a subi, pendant sa longue
existence, bien des vicissitudes.
Elle passa par les désastres de l'incendie en 1517, puis elle eut
beaucoup à souffrir lors des guerres des Espagnols, quand ils firent
le siège de la ville d'Amiens. Enfin, en 1816, son lourd clocher
s'étant effondré, elle fut entièrement mutilée
; dès lors, malgré toutes les réparations que l'on
aurait pu faire, et tout l'argent que l'on aurait pu dépenser, on
n'aurait pu obtenir que de bien faibles résultats.
Les dimensions de son long chur qui prenait la moitié de la longueur
totale de l'Eglise, et qui révélait sa destination primitive
à l'usage des chanoines auxquels il était exclusivement réservé
; l'encaissement de l'édifice par suite de l'exhaussement de la route
et des rues avoisinantes, ce qui occasionnait une grande humidité,
d'autant plus qu'il fallait descendre plusieurs marches pour entrer dans
l'Eglise ; ses fenêtres de grande dimension et sans aucun meneau,
ce qui les rendait peu solides et d'un entretien fort dispendieux ; ses
piliers en arcature supportant de simples voûtes de plafond en plein
cintre (le sanctuaire seul avait conservé sa voûte ogivale
et en pierre), tous ces inconvénients réunis ne pouvaient
faire qu'une Eglise dépourvue d'élégance, peu solide,
froide, insuffisante pour la population et qui n'avait plus guère
de responsable que son antiquité.
Ces diverses considérations ne pouvaient échapper à
un homme judicieux, qui avait vraiment à cur la beauté de
la maison de Dieu, et qui y avait déjà tant travaillé,
M. Godard-Dubuc, dont l'ambition était depuis longtemps, si ce projet
eût été possible, de rendre à cette vieille Eglise
sa forme primitive.
C'était en août 1871, M. Godard-Dubuc était à
Vignacourt. Cet ancien directeur des bâtiments de la Couronne visitait
l'Eglise avec une attention, une sympathie bienveillante qui auraient pu
étonner si on avait ignoré les sentiments qui le guidaient
dans cette visite.
Le carrelage est fort défectueux, il en commande un neuf ; le sanctuaire
n'était éclairé que par trois croisées de moyenne
dimension, il décide d'en ouvrir deux nouvelles ; enfin, la chaire
lui paraissant par trop modeste, il en commande une autre de cinq à
six mille francs.
Assurément; c'était là de beaux présents, et
qui ne s'en serait réjoui !
Mais, avec tous ces embellissements ajoutés aux autres, M. Godard-Dubuc
était loin encore d'atteindre son rêve, remettre l'Eglise dans
sa forme primitive ; et pour tenter enfin la réalisation de ce projet,
quelle somme encore à dépenser ! et puis, ce sera toujours
la même Eglise, avec les mêmes inconvénients et les mêmes
défauts !
Si M. Godard-Dubuc voulait doubler ce qu'il avait intention de dépenser
pour cette restauration projetée, secondé par la bonne volonté
de la commune qui ne pourrait lui refuser son concours en pareille circonstance,
il serait assuré de faire un travail solide, dans le goût qu'il
voudrait, qui réunirait enfin tous les avantages qu'il sera toujours
impossible de réunir dans la vieille Eglise ?
L'exposé de ces divers motifs amena la réflexion dans l'esprit
si pratique de M. Godard-Dubuc ; de plus, on lui fit observer que la commune
de Flesselles venait de construire une Eglise fort élégante
et d'un prix relativement peu élevé, vu ses dimensions et
la richesse de son architecture.
Mu par ces considérations, M. Godard-Dubuc visite l'Eglise de Flesselles.
Frappé de la beauté de l'édifice, il prend aussitôt
sa décision ; il ajourne l'exécution de la chaire, arrête
les autres travaux commandés et fait visite à M. Deleforterie,
architecte à Amiens, afin de s'entendre avec lui pour la construction
d'une Eglise neuve à Vignacourt.
M. Godard-Dubuc allait atteindre sa 82e année, il était donc
nécessaire de se hâter.
L'architecte le comprit, et quelques semaines après, il présentait
un magnifique plan d'Eglise dont le devis se montait à 215.000 francs.
S'il avait connu, comme il l'apprit plus tard, les intentions si généreuses
de son client, au lieu de ne présenter qu'en hésitant son
plan et son nouveau devis, il l'aurait présenté bien plus
grandiose encore, plus riche et plus achevé ; mais, malheureusement,
la mort du donateur, arrivée trop tôt pour Vignacourt, ne lui
permit guère d'y suppléer.
M. Godard-Dubuc, ne voulant pas s'attribuer à lui seul la gloire
de construire la nouvelle Eglise, demande la participation de la commune.
Le conseil municipal qui avait accueilli et partagé les intentions
de M. Godard-Dubuc, considérant que la vieille Eglise avait besoin
de réparations indispensables et très-urgentes dont la dépense
pouvait bien s'évaluer, sans exagération, au chiffre de 50
ou 60.000 francs, résolut de mettre cette somme à la charge
de la commune, puisqu'il aurait dû la voter s'il avait eu à
faire les réparations de cette Eglise.
M Godard-Dubuc prenait tout le reste à sa charge, c'est-à-dire
165.000 francs.
C'était là un don qui devait être, sans doute, un puissant
motif d'encouragement, et pour la commune à qui il était fait
et pour le premier Magistrat du département qui ne pouvait être
insensible à un si magnifique avantage offert gratuitement à
une commune.
Le Conseil fit donc adresser à la Préfecture sa demande pour
être autorisé à se réunir et à voter les
50.000 francs proposés.
Quelle fut la réponse ?
Lorsqu'on pouvait craindre que pour une dépense de 215.000 fr., la
somme de 50.000 fr. offerte par la commune ne fut trouvée trop modeste,
la Préfecture répondit qu'en raison des différentes
charges de la commune et puis aussi en raison des éventualités
de l'avenir, la somme de 50.000 fr. était un sacrifice trop lourd.
Pour aplanir ces difficultés, M. Godard-Dubuc ajouta 10.000 fr. à
la souscription, ce qui ne laissait plus que 40.000 fr. à la charge
de la commune.
La Préfecture accepta cette somme qui fut votée par le Conseil.
Dès lors, le projet d'une Eglise neuve à Vignacourt était
assuré.
En janvier 1872, les travaux de la nouvelle construction furent mis en adjudication,
et ce fut M. Duhamel, Louis, de Vignacourt qui venait de terminer l'Eglise
de Flesselles, qui devint l'adjudicataire et l'entrepreneur de notre Eglise.
La nouvelle construction devant prendre la place de l'ancienne, il fallait
donc se procurer un local pour la célébration des offices.
Presqu'au centre du pays et touchant aux habitations, se trouvait une usine
inoccupée, très-convenable et très-vaste, appartenant
à MM. Danzel et Levert, qui la mettaient à la disposition
de la commune.
C'était là un immense avantage qui levait bien des difficultés.
On ne pouvait donc hésiter, même un instant, car il n'était
pas possible de trouver plus convenable pour la circonstance.
Après quelques difficultés et diverses tentatives, on reconnut
que le local sus-désigné était le seul acceptable comme
église provisoire, et, le dimanche, 28 avril, on y commençait
l'exercice du culte.
Les travaux de démolition de la vieille Eglise dont on vit bien alors
tous les défauts, se firent avec activité, et, le dimanche,
29 septembre, la bénédiction de la première pierre
de l'Eglise nouvelle était l'occasion d'une fête splendide
à laquelle on donna le plus grand éclat, pour témoigner
au bienfaiteur de Vignacourt la reconnaissance qui lui était due
pour l'incomparable présent qu'il voulait faire à son pays
natal.
INTRODUCTION
BENEDICTION
DE LA PREMIERE PIERRE DE L'EGLISE
MORT
ET FUNERAILLES DE M. GODARD-DUBUC Fondateur de l'Eglise de Vignacourt
INAUGURATION
ET BENEDICTION DE LA NOUVELLE EGLISE
CONSECRATION
DE L'EGLISE, LE 2 OCTOBRE 1878